Parce qu'il faut un début à toute histoire

Elle s'appelle Mary. Plutôt grande et mince, bien habillée et soucieuse de son apparence, elle marche toujours d'un pas allongé dans les rues, faisant bien attention à ne pas poser ses belles chaussures à talons parées d'ornements discrets dans les flaques peu attirante qui parsèment le sol et la ville d'odeurs peu accueillantes. C'est ainsi qu'elle vie, en marchant sans s'arrêter, elle n'a pas de réel but. Mais j'aime à observer ce qui se passe autour d'elle. Après tout, ce n'est pas le genre de femme qui n'attire pas l'attention du haut de son mètre soixante-dix-neuf - en comptant les incontournables talons qui ne sont jamais bien loin des huit centimètres il faut dire - et avec sa longue chevelure de jais qui retombe en cascade soyeuse sur ses épaules blanches, parant son visage d'un contraste remarquable avec ses yeux de glace. Autant de manière figurative que propre il faut dire, elle n'accorde pas la moindre chaleur à ceux qui lui parlent, elle n'y apporte guère d'intérêt. Elle avance, la tête bien haute, les bras bien tenus le long du corps, balançant légèrement à l'allure de sa marche victorieuse, le regard fixé sur un point droit devant elle. Elle ne passe jamais deux fois au même endroit, elle ne s'arrête jamais un instant si ce n'est à la grand limite au feu, elle ignore les passants. Mais c'est étrange, je jurerai aujourd'hui la sentir plus fébrile... Vous me diriez "si tu le sens alors c'est qu'elle l'est, puisque Mary c'est toi". Mais ai-je précisé que Mary était moi ? Elle ne l'a jamais été, Mary est en moi, mais qui dit que c'est vraiment moi ? Elle vit d'elle-même, elle n'accorde d'intérêt qu'à elle... et uniquement à elle.

Mais son regard aujourd'hui scrute un peu plus les passants et son pas se fait plus lent. Pas hésitant, juste posé. Elle semble intriguée par tout ce qui peut se passer autour d'elle, mais elle ne s'y attarde pas. Mary semble plus calme, mais elle n'est en fait aujourd'hui qu'une boule de nerfs. Serait-elle en train de chercher précisément quelqu'un sur qui laisser passer sa colère ou peut-être quelque chose en particulier ? Il me revient un de ces jours où elle avait passé la journée à chercher sans relâches, tout ça pour finalement trouver un marchand qui vendait du jus d'orange sans pulpe, c'est dire si elle ne s'était pas un peu égarée ce jour-là dans ses pensées si tordues. Comment ça je suis plus tordu ? Peu importe, aujourd'hui, c'est bien de Mary de qui je parle, et elle cherche tout autre chose. Ce n'est pas un aliment ou une boisson qu'elle cherche : ses yeux glacés scrutent les passants avec une attention particulière, bien qu'ils ne s'arrêtent en général pas bien longtemps. Elle cherche un passant en particulier, ou peut-être un objet que l'un d'eux aurait. Qui sait, après tout nous ne sommes pas elle. Je ne suis pas elle, définitivement. Mais il doit y avoir une raison à ces déplacements si fébriles...

Mary s'arrête enfin. Elle est dans une grand'rue, allez savoir ce qui l'intéresse tant que cela dans un endroit plein de monde alors qu'elle n'y a jamais porté intérêt. Et comble du sort, elle s'assied, sur un muret près de jardinière. Elle pose les coudes sur les genoux et le menton dans ses paumes de main, les yeux à demi-fermés, l'air un peu perdue dans ses pensées. Elle ne donne jamais rendez-vous à qui que ce soit, et je l'ai bien trop observée pour avoir pu laisser passer un rendez-vous. Enfin, qui sait ? Après tout, elle m'échappe si souvent. Elle attend quelqu'un, qu'elle connait ou ne connait pas, elle attend d'être abordée et garde les yeux fixés sur une fleur, comme si elle cherchait à la faire faner, à la glacer. Elle attend, comme si quelqu'un devait venir lui parler, jouant du bout des doigts avec un petit objet, une petite figurine... un petit lapin au bout d'une corde...